Fus7a Magazine 48

L’album "Floor No 4" de Mohamed Najem : Grâce à la clarinette, tout devient vivant.

Asma Azayza

"Floor No 4", produit par le musicien Samer Jaradat dans le cadre de la série de productions intitulée "Passage", offre une diversité d'influences culturelles ainsi qu'un mélange d'héritages historiques issus de la musique de la région en particulier, et de la musique du monde en général.

Dans l'album "Floor No 4" du clarinettiste palestinien résidant à Paris, Mohamed Najem, les compositions prennent la forme d'espaces imaginaires. Ces pièces musicales peuvent évoquer des souvenirs visuels, mais dans l'ensemble, elles paraissent nouvelles à l'esprit. Malgré la diversité des humeurs créées par la mélodie et l'arrangement, toutes les pièces partagent le fait qu'elles sont une musique d'accompagnement pour le débit d'eau dans ces espaces. Le mouvement de l'eau, qui apparaît parfois comme un courant rapide, un écoulement ou une cascade, et parfois comme une fuite timide, est créé par le son de la clarinette qui s'étend. La forme du mouvement et sa force sont sculptées par le rythme, et dans l'album "Floor No 4", le rythme semble être la compétence technique bien maîtrisée de Mohamed Najem. Il puise à la fois dans l'authenticité du rythme oriental et dans des déplacements vers d'autres cultures musicales, comme la grecque ou celle d'Asie centrale, tout en montrant une certaine audace flirtant avec les frontières du jazz.

En tant qu'auditeur moyen, j'ai l'habitude de rechercher des thèmes intellectuels ou sensoriels dans la musique instrumentale. Souvent, certains titres semblent vagues, et j'ai besoin de quelques clés pour m'orienter, pour me promener dans ce monde qui dépend fortement de l'imagination, sans avoir un discours ou une idée clairement définie. Les courtes descriptions fournies dans le livret de "Floor No 4" m'ont offert quelques clés, mais elles n'ont pas restreint mon imagination ni limité ma liberté de construire ces espaces et de tracer les lignes où l'eau de la clarinette coule. Les courtes descriptions ne pointent pas vers des valeurs communes ; certaines se réfèrent au quotidien et au perceptible, d'autres à la mémoire, d'autres encore à des aspects émotionnels particuliers. À travers une écoute continue des pièces, cette traversée ressemble à celle de quelqu'un marchant sur un chemin, s'arrêtant de temps en temps pour réfléchir, puis reprenant la route, pour recommencer à méditer, tantôt avec sa vision, tantôt avec son regard, entre le tangible et le sensoriel.

Le premier espace est une véranda au quatrième étage, qui permet de s'évader de l'agitation de la ville. Là, on devient le compagnon du coucher de soleil que l'on peut observer depuis "l'interdit" de Jaffa, que l'on voit à travers les histoires de son grand-père. La ligne aérienne reliant la véranda à l'horizon où la mer commence devient le courant d'eau. Ce que la première composition, "Floor no 4", réussit, c'est qu'elle n'égoutte pas, mais plutôt éveille la nostalgie ou un souvenir agréable. Cela se manifeste dans son rythme dansant, évoquant par moments les danses tsiganes, à la fois tourbillonnantes et sensuelles. Ce lieu simple, la véranda, est imprégné de sens lorsque le passé ou la mémoire imaginaire de Jaffa est présent.

La composition instrumentale qui accompagne la clarinette contribue à façonner la spatialité et à la préparer. Avec une distribution intelligente entre l'accordéon, la basse, les percussions, le Oud, le violon, l'alto, le violoncelle, le qanun et le buzuk, l'emprunt objectif de la musique devient visible et peut être facilement saisi par l'auditeur. Dans la deuxième composition intitulée "Instant Love", Mohamed fait allusion verbalement à sa capture d'un moment d'amour comme résumé d'une période d'amour complète. Cette conciliation avec la fin émotionnelle de la musique, qui n'est pas dépourvue de "joie", donne l'impression qu'elle l'emporte sur la captivité et surmonte toute rupture traditionnelle à la fin de l'amour. Au milieu de cette joie qui déborde et se diffuse au-delà de la pièce, la composition plonge soudainement dans ses profondeurs, dans un solo envoûtant de la clarinette qui ne semble pas triste autant qu'il semble touché par une émotion sincère. Puis, elle reprend son élan. Ces croisements sensoriels réussis dans la musique créent un espace qui ressemble à une ancienne pièce abandonnée, mais dont les fenêtres sont ouvertes sur une vie renouvelée. L'eau qui coule de la clarinette sort sans entrave, mais s'infiltre parfois dans les solos de manière hésitante ou incertaine. Il s'agit là d'une construction dramatique réussie pour la pièce.

Dans le sixième espace, la composition intitulée "Rakset Zabakly" présente un rythme en 9/8 appelé Zabakly. Najem interprète une pièce du patrimoine ottoman, qui peut évoquer une époque antérieure aux Ottomans, voire même Constantinople avec tous ses détails et ses ornementations, ainsi que son architecture urbaine somptueuse. Cependant, la distribution la sort de son héritage, en offrant un son moderne qui dynamise davantage l'espace et rend l'eau plus adaptable dans son mouvement, plus habile dans le dessin de ses courants.

" Floor No 4", produit par le musicien Samer Jaradat dans le cadre de la série de productions intitulée "Passage", offre une diversité d'influences culturelles, ainsi qu'un mélange des richesses historiques de la musique de la région en particulier, et de la musique du monde en général. Au-delà de son analyse musicale, pour l'auditeur moyen, l'album présente des humeurs qui sont de bons compagnons pour une journée ordinaire, ou peut-être des déclencheurs pour toutes les émotions possibles qui peuvent être enfouies en nous lors d'une journée ordinaire... Des déclencheurs de joie, de tristesse, de réflexion, d'interrogation, d'expansion et de contraction. Ce sont des valeurs sensorielles qui peuvent être emprisonnées dans notre routine quotidienne, et c'est la clarinette qui les rend vivantes et palpables.

"Floor no 4" : Accordéon - Manfred Leuchter ; Guitare basse - Antoine Putz et Charlie Rishmawi; Percussions - Tareq Rantisi; Oud - Dimitri Mikelis ; Violon - Thomas Bagbaga ; Alto - Mathilde Vitu; Violoncelle - Daniela Spada ; Et en invité : Kanoun - Yacoub Hamouda; Bazouk - Tareq Abboushi.

 

Previous
Previous

Aachener-Zeitung

Next
Next

Radio Télévision Suisse