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Jaffa Blossom

Sur disque ou sur scène, comme l'autre soir au Sunside, le clarinettiste palestinien Mohamed Najem joue une musique aussi colorée qu'émouvante, surtout dans le contexte actuel.

par Laurent Sapir.

Si le jazz originaire du monde arabe possède ses têtes d'affiche, de Ibrahim Maalouf à Dhafer Youssef, en passant par Anouar Brahem, aucun musicien palestinien n'avait encore, à notre connaissance, abordé ce répertoire. On se souvient, certes, du trio Joubran, mais ces frangins joueurs de oud officient davantage dans les musiques du monde. Ceci étant, comme eux, le clarinettiste Mohamed Najem souhaite d'abord qu'on s'intéresse à sa musique. C'est le meilleur moyen, à ses yeux, de rendre hommage à son peuple... surtout en ce moment.

Reste à savoir si on peut vraiment dissocier les deux aspects. Le coup de cœur qu'inspire son deuxième album, Blossom Jaffa, doit évidemment beaucoup à la magie de sa palette sonore, au mélange de douleur et d'allégresse propre à la musique orientale arabe, à l'instar du klezmer, et au swing élégant d'un quartet jazz qui enrobe le souffle de Mohamed Najem sans jamais résonner de manière artificielle. Mais aurait-on pareillement entendu ce disque si au même moment, Gaza n'était pas martyrisée et affamée par l'armée israélienne dans le prolongement des massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre ?

Ce simple mot, "Gaza", Mohamed Najem l'a quasiment murmuré l'autre soir sur la scène du Sunside, et il a fallu attendre pour cela la fin du concert. Pour le reste, il lui suffit de raconter son enfance à Bethléem, en Cisjordanie occupée, lorsque dans la foulée de la première Intifada, on lui interdisait de jouer de la musique dehors. Il y eut ensuite l'aventure du Conservatoire national palestinien au milieu des années 90, puis l'Orchestre national palestinien dont il a été l'un des membres fondateurs avant de venir vivre à Angers grâce à une bourse. La vieille ville longée par la Maine lui rappelle, dit-il, Bethléem et ses pierres.

De fait, l'imaginaire de Mohamed Najem n'a pas de frontières, notamment quand il s'agit de redessiner en musique Jaffa, l'ancienne capitale culturelle de la Palestine surnommée la "ville des oranges " et où vivait son grand-père disparu avant que Jaffa ne soit absorbée par Tel-Aviv. Un paradis perdu, la douleur de l'exil, la renaissance par la musique... Il y a tout cela dans ce son de clarinette qui entremêle une nuée de rythmes et part dans plein de directions différentes (jusqu'aux accents free d'un morceau comme If You Want) avant de laisser place, parfois, à une flûte ney issue de la grande tradition persane. Elle n'amoindrit en rien les racines spirituelles de cette musique, notamment lorsque surgit l'un des sommets du disque, Les Gitans, d'après un poème de Mahmoud Darwich.

Venu en renfort, notamment sur un autre temps fort de l'album, Floor No 4, l'harmoniciste Thomas Laurent se fond à merveille dans le quartet également formé par Clément Prioulau piano, Arthur Henn à la contrebasse et Baptiste Castets à la batterie. En revanche, l'apport sur deux titres de Youssef Zayed à l'oud déséquilibre un peu l'ensemble, du moins sur scène car dans l'album, on ne se lasse pas du virevoltant -mais pas que virevoltant- From Bethleem à Angers, une sorte de valse cassée à laquelle ce oudiste, qui est lui aussi palestinien, apporte son concours.

Les entraînants Bus et Instant Love nous captent avec le même souffle. De quoi placer Jaffa Blossom dans la lignée d'une autre grande floraison orientale, celle dont Yusef Lateef plantait les graines avec The Plum Blossom, l'un des joyaux de son mythique Eastern Sounds. De la fleur de prunier aux orangers de Jaffa, on ne peut guère goûter meilleure saveur même si, parfois, elle peut aussi avoir l'arôme du chagrin ou de la mélancolie.

Jaffa Blossom, Mohamed Najam (Label Ouest). En concert au Sunside, à Paris, ce jeudi 14 mars. À réécouter également Deli Express, sur TSFJAZZ, dont Mohamed Najem était l'invité jeudi.

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"Jaffa est la ville natale de mon grand-père"

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